Les Français découvrent l’habitat participatif
Concevoir son logement avec d’autres connaît un vif succès auprès des futurs propriétaires
Les Français se convertissent à l’habitat participatif, ce modèle qui consiste, pour les futurs habitants, à concevoir eux-mêmes leurs logements, avec des espaces collectifs en nombre. Pour s’en rendre compte, il suffisait de se rendre aux 4es Rencontres nationales de l’habitat participatif, qui se sont déroulées à Marseille du 9 au 11 juillet. Déjà plus de 400 groupes d’habitants se sont formés en France, dont 300 sont parvenus à l’étape du projet. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR du 24 mars 2014) a contribué à cette reconnaissance institutionnelle en créant deux cadres juridiques : la coopérative d’habitants et la société d’autopromotion, qui attendent encore leurs décrets d’application.
« Bâtie avec douceur »
A Montpellier, l’aventure commence à l’heure de l’apéritif, à la brasserie du Dôme, où se retrouvent, deux mardis par mois, les candidats à un habitat participatif. La ville a déjà lancé trois appels à projets sur des parcelles réservées à des groupes d’habitants. Trois ans après son lancement, le projet Mascobado (pour » maison coopérative bâtie avec douceur « ) est bien engagé. Vingt-trois familles vont emménager en 2016 dans deux immeubles implantés sur un superbe terrain bordé de vignobles et d’un vaste parc, à 10 minutes du centre de Montpellier par le tram.
« La municipalité ne nous a pas fait de cadeau sur le prix du foncier, raconte Fréderic Jozon, accompagnateur du projet et futur habitant, et l’opération est située sur une zone d’aménagement concerté, avec son lourd cahier des charges, ses contraintes, la définition stricte du nombre de mètres carrés constructibles, de la hauteur des bâtiments et de leur emprise… »
La municipalité a imposé à Mascobado un maître d’ouvrage professionnel, le bailleur social toulousain Promomidi, qui pilote le chantier et assume les risques, ce qui rassure entrepreneurs et banquiers. La ville a aussi exigé qu’un accompagnateur, la société spécialisée Hab-Fab, anime les réunions et les débats de la cinquantaine de futurs habitants et fasse émerger le consensus et le projet. « Toutes ces réunions, plusieurs fois par semaine, c’est un vrai travail, cela prend du temps, mais nous sommes heureux de nous y retrouver, car on y apprend beaucoup de choses, y compris sur soi et les autres », s’enthousiasme Elsa, la quarantaine, qui a tout de suite adopté ce projet.
Cet encadrement par les collectivités locales fait sourire les anciens militants de l’habitat groupé autogéré des années 1980, qui se débrouillaient seuls. Mais il a des avantages : il résout la question, devenue cruciale avec la hausse des prix depuis 2000, de l’apport du terrain, sur laquelle nombre de groupes buttent et se découragent, en concurrence inégale et souvent court-circuités par de meilleures offres émanant de promoteurs ; surtout, il permet de concrétiser les projets dans des délais raisonnables.
Autre avantage, la conception des immeubles par les futurs habitants aboutit à des architectures radicalement différentes de celles de la promotion classique, qui cherche à standardiser les appartements, à diminuer les surfaces communes et à limiter les occasions de rencontres entre voisins. Ici, c’est l’inverse, et on trouve partout de généreux espaces communs : salle polyvalente, atelier de bricolage, buanderie, chambres d’amis mitoyennes et communes, mais aussi jardin potager, verger, toits-terrasses en ville… « A Mascobado, le plus bel espace est le toit-terrasse avec vue sur les vignobles, et il reste collectif, alors que, dans n’importe quel projet traditionnel, il aurait été privatisé », se félicite Frédéric Jozon.
L’habitat participatif a connu une renaissance au milieu des années 2000, mais il est longtemps resté un thème de colloques et de recherches universitaires « plus nombreux que les projets eux-mêmes : une quarantaine de thèses sont en cours sur le sujet ! », dit en souriant Anne d’Orazio, architecte et urbaniste. La présence, à ces Rencontres, non seulement de groupes d’habitants et d’architectes, mais désormais de notaires, de banquiers, de caisses de retraite, d’élus, de bailleurs sociaux et de nouveaux métiers – accompagnateur, facilitateur, coach et autres formateurs –, fait changer d’échelle ce mouvement autrefois confidentiel, voire marginal. Les collectivités locales envisagent désormais sérieusement cette troisième voie de production de logements, et pas un écoquartier ne sort de terre sans sa dose expérimentale d’habitat participatif.
« Afficher ses valeurs »
Une quarantaine de villes et régions sont membres de la plate-forme d’échange d’expérience des collectivités sur ce sujet : les onze villes fondatrices – dont Strasbourg, Montreuil, Lyon et Grenoble – rejointes par Lille, Bordeaux, Rennes, Avignon, Marseille…
« L’implication nouvelle des bailleurs sociaux permet, en ouvrant ces logements à leur public, de démocratiser un processus qui pourrait rester l’apanage d’une classe moyenne que certains appellent les “culturels créatifs” – professeurs, travailleurs sociaux, journalistes, communicants… – , analyse Anne d’Orazio. Et le turnover naturel des locataires sociaux assure, dans ces immeubles, un mélange souhaitable des générations. » Claire Carriou, sociologue à Nanterre, renchérit : « L’affaiblissement des systèmes de protection sociale et le risque réel ou ressenti de déclassement poussent à la propriété, mais aussi à maîtriser son environnement, à avoir prise sur sa vie et à afficher ses valeurs dans son mode d’habitat. »
Lors des Rencontres marseillaises, une trentaine de bailleurs sociaux étaient présents. Telle Anne Chemier, déléguée à l’habitat participatif à l’Union sociale de l’habitat, qui déclare : « Nous avons besoin de la participation d’habitants qui croient à l’engagement citoyen, créent du lien social et nous bousculent dans nos habitudes de travail, en nous obligeant à mieux prendre en compte les usagers dans la conception de nos immeubles. »
Isabelle Rey-Lefebvre
Les seniors, une composante de ce nouvel art de vivre
Pas un groupe ni un projet d’habitat participatif qui ne revendique une dimension intergénérationnelle et ne compte quelques seniors. » C’est très important pour moi de vivre à côté de jeunes ménages, de leur rendre des services, de me sentir utile jusqu’au bout. Les maisons de retraite et les mouroirs, non merci ! « , lance Michèle Gral, 62 ans, retraitée de l’informatique.
Pour aider au financement de projets, les caisses de retraite mettent d’ailleurs la main au portefeuille. « Le projet Abricoop Jeune Pousse, de dix-sept logements, à Toulouse, fort de sept ou huit retraités dont un âgé de 78 ans, a pu obtenir un prêt de 380 000 euros, à taux zéro, sur vingt ans, de la Carsat, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, raconte Véronique Berthet de l’association Jeune Pousse, mais, en contrepartie, nous nous engageons à organiser des ateliers ‘mémoire’ et ‘équilibre’ pour eux. »
A Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, le projet Chamarel est majoritairement destiné à des seniors. « Nous nous posons la question de la vieillesse et de l’éventuelle perte d’autonomie. Nous avons été confrontés à ce problème avec nos propres parents et ne voulons pas laisser ce fardeau à nos enfants », explique Chantal Nay, 68 ans, ancienne institutrice. « Et puis nous souhaitons rester maîtres de notre vie jusqu’à la fin, être actifs le plus longtemps possible, en poursuivant nos engagements associatifs. » Chamarel envisage seize petits logements accessibles aux handicapés et prévoit, dès sa conception, les réseaux d’alarme et de veille indispensables.