Silence : Les nouveaux visages de l’habitat participatif

Commander le n°462 de la Revue Silence (Décembre 2017 ) : Les nouveaux visages de l’habitat participatif

Les nouveaux visages

de l’habitat participatif

Abricoop, une coopérative d’habitant·es sort de terre

Habiter autrement les villes, accéder à la propriété quand on n’a pas de très gros moyens et partager avec ses voisin·es : c’est l’aventure dans laquelle s’est lancée l’association toulousaine La Jeune Pousse en créant la coopérative d’habitant·es Abricoop, qui ouvre ses portes durant l’hiver 2017-2018.

Carte de France des membres de la Coordin’action nationale des associations de l’habitat participatif

Un réseau national pour habiter autrement

Cécile Viallon, membre de la Coordin’action nationale des associations de l’habitat participatif, revient pour Silence sur ce réseau et sur la dynamique nationale en faveur de l’habitat participatif.

La coopérative immobilière : demain, on loge gratis ?

Acheter ou louer, le choix n’est guère enthousiasmant. Les coopératives d’habitant·es constituent une alternative réjouissante pour sortir de la spéculation immobilière. Mais seront-elles suffisantes ? La coopérative immobilière se donne pour but de sortir des logements du marché immobilier.

« Inventer une nouvelle façon d’habiter et de vivre »

Dans son livre Commun Village, Anne Bruneau présente un habitat groupé imaginaire abordant les différentes questions qui se posent autour de ce genre de pratiques. Elle s’est inspirée pour cela de 25 lieux ayant réellement existé.

 

Articles

Mon école en paille

À Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour répondre au besoin croissant du nombre de classes, la municipalité a décidé de passer le cap de la construction écologique. La particularité de « l’école des Boutours 2″ ? Les murs sont intégralement en paille. Une première pour un bâtiment public.

La parole fraternelle de Patrick Chamoiseau

En juin 2017, le grand écrivain Patrick Chamoiseau s’exprimait à Saint-Malo lors du festival des Étonnants Voyageurs. Réquisitoire contre un néo-libéralisme barbare, regard visionnaire sur les migrant·es, plaidoyer pour la poésie : des paroles engagées et vibrantes dont voici quelques échos.

Zéro déchet : puis-je amener mon propre contenant chez mon commerçant ?

Si vous demandez à votre commerçant·e d’utiliser votre propre emballage, les réactions vont de l’enthousiasme au refus, ces derniers se justifiant par le respect des règles d’hygiène. Qu’en est-il réellement ?

Retour à la Chanvrière du Bélon

En 2000, Silence visitait la Chanvrière du Bélon, en Bretagne. 17 ans plus tard, l’occasion s’est présentée de retourner voir ce qu’est devenue cette coopérative, qui s’appelle désormais Technichanvre-Chanvrière du Bélon, pionnière dans l’activité du chanvre pour la construction.

Semer des lettres, récolter l’échange

Derrière chaque chose mangée, derrière chaque champ, il y a des femmes et des hommes qui façonnent le territoire et le cultivent, pour permettre à chacun·e de se nourrir.  La compagnie Les fous de bassan! construit depuis plusieurs années des projets culturels permettant de donner la parole à ces nourrisseu·ses de l’humanité.

Aux enfants

Ce texte de l’écrivaine Marie Desplechin a été publié dans son intégralité dans l’ouvrage Pour une poignée de degrés dont vous pouvez découvrir des photos page 48 de ce numéro. Son style et son message puissants nous ont donné envie de le donner à partager ici. En voici quelques extraits.

Pour une poignée de degrés

Ce livre de photographies présente une coopération entre citoyen·nes et artistes autour d’une approche sensible du défi climatique.

 

Chroniques

Bonnes nouvelles de la Terre : Fermes d’avenir : grandes ambitions, grandes interrogations

Nucléaire ça boum ! : Nous avons le prix Nobel !

En direct de nos colonies : Congo : le silence de la France

L’écologie, c’est la santé : Perturbateurs endocriniens : heureusement le Parlement européen veille !

Brèves

Alternatives • Énergies • Environnement • Paix • Nucléaire • Nord/Sud • Femmes, hommes, etc. • Politique • Société • Santé • Vélo(rution) • Agri-bio • Agenda • Annonces • Courrier • Livres • Quoi de neuf ?

Éditorial

L’habitat participatif

à la croisée des chemins

Des centaines de groupes en France essaient de mettre en place des habitats collectifs autogérés et certains ont déjà réussi à réaliser leur utopie.

Le partage du quotidien et des infrastructures permet la réduction des consommations individuelles (notamment l’électroménager par la création de buanderies collectives). Le choix de la taille des logements ou encore des matériaux utilisés s’effectue en prenant en compte des critères écologiques. Le montage juridique coopératif permet de sortir de la spéculation immobilière. L’autogestion collective du projet de vie conduit enfin à mettre en pratique une forme de vie hautement politique.

Les difficultés ne manquent pourtant pas sur le chemin, entre les années de réunions nécessaires à la construction du projet, qui n’arrive pas toujours à aboutissement, le délicat équilibre relationnel entre ses membres, ou encore les freins économiques et juridiques, etc.

Face à ces défis, le mouvement de l’habitat participatif semble être à un tournant.

D’un côté de « fausses bonnes solutions » sont proposées par des entreprises qui tentent de récupérer ces dynamiques collectives au profit des logiques de marché : elles proposent des projets d’habitats partagés « clé en main » qui ont pour avantages supposés de gommer les difficultés de réalisation et de raccourcir les délais.

Ailleurs, des solutions innovantes se font jour à l’image du projet de « coopérative immobilière » qui se propose de sortir du marché et de la propriété un nombre croissant de logements et de révolutionner ainsi notre rapport au logement.

Enfin, le mouvement de l’habitat participatif dont nous parlons depuis des années dans Silence continue à se développer et à fédérer de nombreuses forces pour faire avancer dans la société des manières d’habiter originales et décroissantes.

Et nous, où souhaitons-nous poser la prochaine pierre à l’édifice ?

Olivier Chamarande & Guillaume Gamblin

 

 

La Dépêche : Le plus grand projet d’habitat participatif de France bientôt achevé

 

Les 89 logements des «Quatre Vents» dans le quartier de la Cartoucherie seront habités en janvier 2018. Les habitants mettent la dernière main aux appartements qu’ils ont eux-mêmes dessinés.

Comme les 16 autres «Abricopains», il a dessiné lui-même son appartement. Et son immeuble. Ils ont choisi l’architecte, travaillé à l’aménagement des lieux, et investi chacun de l’argent pour la construction. Ils seront locataires de leur appartement (du T2 au T6, loyers de 1 100 € maximum), et propriétaires collectivement de l’immeuble. Ils participeront tous à l’entretien de l’immeuble : pas de frais de syndic. Si l’un d’eux quitte la coopérative, il récupérera uniquement ce qu’il a payé pour l’immeuble.

«Vue sur les Pyrénées»

«La livraison est prévue le 20 décembre, la réception officielle par les habitants le 8 janvier, et l’emménagement, le 26 janvier prochain», détaille Leslie Gonçalves, l’architecte mandataire du projet, pour la SA les Chalets. L’immeuble fait partie de l’ensemble «Quatre vents», qui comprend au total 89 logements d’habitat participatif.

«C’est possible d’avoir des prises électriques supplémentaires au-dessus du plan de travail ?» demande Guillaume, le sourire jusqu’aux oreilles, qui trouve son 53 m2 «grand pour un célibataire !».

«Ce projet a été très enrichissant, il nous a appris à travailler différemment, en liaison directe avec les habitants. Tout a été décidé avec eux, c’est très agréable, confie Leslie, l’architecte. Pour les ouvriers aussi : ce n’est pas l’appartement 45, mais l’appartement de Michèle ou Guillaume. Chaque appartement est différent, dessiné en fonction des besoins des habitants : un canapé d’angle, une plante imposante…

«Nous serons 23 adultes et 9 enfants, dans 17 appartements. Le chantier a commencé en février 2016, raconte Thomas. Il aura duré presque deux ans.» Le père de deux enfants va habiter un T4 de 80 m2, «soit 8 m2 de plus que mon T4 actuel, qui est sans ascenseur.» Les habitats partageront des chambres d’amis à chaque étage, les lave-linge, une grande pièce de 55 m2 avec atelier de bricolage, un jardin sur le toit…

«C’est conforme à mes attentes, notamment la vue sur les Pyrénées, qui se joue à quelques centimètres, avec la hauteur de l’école de la Cartoucherie, qui se construit juste en face. Bon, ça a l’air plus petit quand c’est vide…

Stéphane, trois enfants, va, lui, passer d’un T3 de 50 m2 à un duplex T5 de plus de 95 m2. «On était à Patte d’Oie, on reste dans le quartier, c’est bien pour les enfants, les écoles, les nounous… On est arrivés dans la coopérative début 2013. Depuis, on se connaît tous. Abricoop, c’est une seconde famille.» ça tombe bien, la famille va habiter le même immeuble.


Déjà 1 300 à la Cartoucherie

Le nouveau quartier de la Cartoucherie, en cours de certification écoquartier, accueille déjà plus de 1 300 habitants, dont les premiers sont arrivés en 2016. Un comité de quartier, qui rassemble les habitants, a été créé en 2017. Un parking mutualisé a été construit, et dans les deux ans qui viennent, les anciennes halles vont être investies par des activités de restauration, de culture et de sport. À la rentrée 2018, le nouveau groupe scolaire accueillera les enfants du quartier, et même au-delà. En janvier 2018, plus de 200 nouveaux habitants vont intégrer les 89 logements d’habitat participatif des «Quatre vents». Un chantier que Leslie Gonçalves, architecte mandataire de l’immeuble 4 (coopérative Abricoop), pour le cabinet Seuil Architecture, estime exemplaire pour l’engagement des habitants : «Après, ça reste un chantier avec ses coups de bourre, c’est toujours un peu tendu dans la dernière ligne droite. Mais les habitants ont collaboré à tout : l’esquisse, le permis de construire, le choix des matériaux… L’immeuble sera à la norme RT2012 -20 %, étanche à l’air et à l’isolation phonique parfaite». L’initiative des Quatre vents et d’Abricoop n’est pas nouvelle dans la région. Les premiers logements partagés ont été créés dans les années quatre-vingt et dans l’agglomération, l’un des plus anciens groupes d’habitat participatif se trouve à Ramonville. Il s’agit du groupement «Mange pommes».


Repères

Le chiffre : 89

logements > «Quatre Vents». L’ensemble de quatre immeubles d’habitat participatif est quasiment terminé, à la Cartoucherie. Les habitants y emménageront entre le 15 janvier et le 10 février 2018.

La Dépêche : Habitat participatif : le pari gagné d’Abricoop

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Habitat participatif : le pari gagné d'Abricoop
Habitat participatif : le pari gagné d’Abricoop

Le premier immeuble d’habitat coopératif de Midi-Pyrénées sort de terre dans l’écoquartier de La Cartoucherie à Toulouse. Rencontre avec ses futurs résidents du «troisième type», ni locataires, ni propriétaires.

L’aventure immobilière et sociale d’Abricoop a débuté en 2008, sous la forme d’une association «La Jeune Pousse» et sur la foi de citoyens déjà branchés sur courant «alternatif» (réseau AMAP etc.). D’emblée, le projet se situe au-delà d’un simple habitat participatif et prend la forme d’une coopérative d’habitants. «Nous étions locataires par défaut et pas prêts à devenir propriétaires pour autant, explique Thomas, l’un des pionniers du projet avec son épouse Véronique. L’habitat coopératif est un bon compromis entre logement individuel et vie en communauté : l’intimité de chaque ménage est respectée mais il y a aussi des espaces communs pour le partage.» Reste à mener un combat de longue haleine : au plan local, avec la recherche d’un foncier et la rédaction de statuts, et au plan national, avec d’autres structures, pour plaider la cause de l’habitat coopératif auprès de l’Etat. Et sur ces deux fronts, les «mobilisés» toulousains vont avoir gain de cause. En 2013, Toulouse Métropole leur donne son feu vert pour s’implanter dans un îlot dédié à l’habitat participatif dans la ZAC de La Cartoucherie. Puis, en 2014, la loi ALUR consacre le statut de coopérative d’habitants en France. En l’espace de huit ans, certains ont quitté le navire, d’autres l’ont rejoint. Comme Michèle, âgée 63 ans et informaticienne retraitée : «Pour moi, c’est un moyen de ne pas vieillir trop vite» !

Un projet intergénérationnel et solidaire

Quatre ateliers ont été mis en place : juridique et financier, technique, projet de vie et communication. Ecouter, réfléchir, débattre… Pour rester en forme intellectuellement, c’est l’idéal !» Propriétaire d’une maison en périphérie de la Ville rose, elle va la mettre en vente pour participer au capital de la société coopérative (lire ci-contre). Même chose pour Jean, 79 ans, le doyen d’Abricoop. Ex-ingénieur auprès du ministère de l’Agriculture, il va partager les fruits de la vente de son appartement toulousain entre ses trois enfants et un projet qu’il juge «très stimulant» : «Deux choses me motivent : nouer de vraies relations avec mes futurs voisins et prouver que l’argent n’est pas roi en allant au-delà du duo propriétaire-locataire.» Parmi les 21 futurs voisins, les profils sont variés : du chômeur au retraité en passant par le cadre…

«Ne pas m’endetter individuellement, c’est m’éviter d’avoir un boulet à la cheville, témoigne une coopératrice de 44 ans. Je touche environ 1 200 € de salaire et, depuis que j’ai rejoint le projet Abricoop, il y a eu deux plans sociaux au sein de mon entreprise… Donc prendre un crédit de 30 ans pour acheter, non merci !»

Chaque mois, des réunions de groupe permettent d’aborder les aspects financiers du projet et bien d’autres : du choix des matériaux de construction à l’usage des salles communes (buanderie, chambres d’amis…).

Au sein d’Abricoop, tout le monde a son mot à dire. Et chaque voix compte : indépendamment de la part sociale acquise ou de la taille de son logement. ¦

Boudu : Les aventuriers de l’habitat participatif

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Les aventuriers de l’habitat participatif

PAR Aurélie DE VARAX
Temps de lecture 13 MIN

Elodie et Stéphane veulent fuir le rapport locataire-propriétaire, Fabrice partager autre chose avec ses voisins que des coups de balais au plafond, Jean vivre ses vieux jours en joyeuse compagnie, et Françoise en a assez de repeindre ses volets toute seule. Avec treize autres familles, ils construisent la première coopérative d’habitants à Toulouse. Une Abricoop.

« Au départ, je ne comprenais pas le projet tellement cela me paraissait normal. » Sofie est la benjamine d’Abricoop et comme elle est suédoise, elle trouve naturel de partager son BBQ, sa buanderie ou sa chambre d’amis avec ses voisins. Comme à Oslo en Norvège, où les coopératives d’habitants occupent 40% du parc immobilier. Chez nous, même si l’idée fait son chemin, elles font encore figure de bizarreries. À Toulouse, le projet Abricoop mijote depuis neuf ans.

Par hasard

Tout a commencé à l’automne 2007, presque par hasard. Thomas et Véronique Berthet, jeune couple sans enfants, hébergent dans leur appartement des Chalets la coordinatrice d’Habicoop, la fédération française des coopératives d’habitants. Séduits par l’idée, ils y voient la possibilité d’échapper à un propriétaire qui s’engraisse sur leur dos et les arrose au Round-up. Ils se lancent alors un défi de Pilgrims fathers : créer la première coopérative d’habitants sur le sol toulousain. Leur projet : installer avec d’autres familles un immeuble coopératif au centre de Toulouse.

La fleur au fusil, le jeune couple recrute au sein du club d’aviron et du réseau des AMAP. Et les candidats ne manquent pas. Chloé, Ludovic puis Françoise rejoignent rapidement l’aventure. En janvier 2008, l’association La Jeune Pousse voit le jour avec pour objectif de trouver un terrain. Assez rapidement, un projet se dessine dans l’écoquartier de la Cartoucherie, sur une proposition de Régis Godec. Il faut dire que l’adjoint écologiste au maire de Toulouse en charge des écoquartiers ambitionne de lancer, sur cette friche industrielle, la plus grosse opération en habitat participatif de France, avec 90 logements. Du côté de la future coopérative, chouchouter les élus est affaire de stratégie, histoire de dénouer les cordons de la bourse en temps voulu. Mais l’emplacement de la Cartoucherie ne fait pas l’unanimité, tout comme la perspective de n’intégrer les lieux qu’en 2015. C’est la première grosse crise au sein de La Jeune Pousse, avec le départ de nombreux membres. Thomas se souvient : « Au creux de la vague, nous nous sommes retrouvés à quatre ménages ! Heureusement nous avions un terrain et des règles de fonctionnement bien définies. » Pour se relancer, la Jeune Pousse se greffe en 2013 sur la campagne d’information du Groupe des Chalets, le grand opérateur de l’ilot participatif de l’écoquartier de la Cartoucherie, et recrute onze nouvelles familles ou membres.

pub Chalets octobre 2018

Par conviction

On y trouve Rachel, 30 ans, chercheuse en physique. Pour elle, l’argument financier est imparable : « Construire en habitat groupé permet de choisir son environnement en achetant moins cher puisque nous mutualisons des espaces et des équipements. » Elle vient d’un petit village alsacien où toute sa famille habite. Elle a parcouru 1000 kilomètres pour vivre sa vie au cœur de Toulouse. Et embrasser un style de vie collectif. Pour Stéphane et Elodie, jeunes cadres dynamiques, la motivation première est d’échapper aux rapports propriétaire-locataire et à la spéculation immobilière. « Nous avions les moyens d’acheter un logement mais nous voulions vivre autrement, explique Stéphane. Le système coopératif fait du logement un bien commun et non une machine à faire du pognon. » Car ce statut de coopérateur, défini officiellement par la loi Alur de mars 2014, est très novateur. Les familles seront propriétaires de parts sociales à hauteur de 20% du coût de leur logement, certaines ayant choisi de donner davantage selon un mécanisme de solidarité financière. Exit donc la spéculation immobilière, vu que le prix des parts restera identique ou éventuellement indexé sur l’inflation. Chaque mois, chacun paiera un loyer calculé en fonction des plafonds de ressource HLM, pour rembourser les emprunts et couvrir les frais de fonctionnement. Un prix stable et réel.

LES LEADERS D’OPINION SONT PRIÉS DE NE PAS ABUSER DE LEUR APTITUDE À CONVAINCRE.

Au-delà des considérations idéologiques et financières unanimement partagées, chacun se projette avec sa propre histoire. Pour Jean, le doyen, par exemple, c’est l’envie d’une mixité pimentée : générationnelle, sociale et économique : « Nous allons sûrement nous empoigner sur la notion du sale, du propre et du désordre. Les vieux vont être tatillons sur le bruit et avoir besoin qu’on s’occupe d’eux. Le débat sur les redevances au m² n’est pas clos. Mais quelle aventure ! » Ludovic et Chloé, eux, aspirent au luxe de pouvoir optimiser leurs trajets quotidiens tout en vivant au cœur de la ville : « J’ai vécu dans un lotissement où les portes étaient toujours ouvertes. On était une quinzaine d’enfants à aller tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre et j’ai trouvé ça génial », s’enthousiasme Ludovic qui projette des soirées jeux endiablées dans la salle commune.

Par envie

Mais cette maison idéale ne s’est pas faite en un jour. Notamment parce que la coopérative obéit à des règles où prime la démocratie participative. Ici, la notion de chef est absente. Lors de chaque réunion sont nommés un gardien de la bienveillance, un distributeur de parole et un gardien du temps, pour que les grandes gueules et les timides trouvent leur place. Et surtout, chaque décision doit être prise au consensus : « On s’oblige à trancher entre des solutions qui ne peuvent absolument pas cohabiter, en faisant en sorte que tout le monde ait l’impression d’avoir été entendu », résume Fabrice.

Pour avancer collectivement sur tous les fronts, les dix-sept familles d’Abricoop ont initié une dynamique de gestion de projet digne d’un incubateur de start-up. Des séances de team building, un intranet connecté, des commissions projet thématiques (communication, financière, juridique) dont les avancées sont discutées en réunion. Autant dire qu’il a fallu des centaines de réunions pour que chacun dessine les contours de l’appartement de ses rêves, ou pour imaginer des mécanismes financiers équitables. Sans parler des compromis, inévitables, qu’il a fallu faire comme, pour les plus écolos, celui d’utiliser des matériaux plus classiques que le bois et la paille. Bref, il a fallu composer.

NOUS NE SOMMES PAS LÀ POUR NOUS AIMER.

Une méthode que les abricoopiens ont construit à leur mesure, en s’appuyant sur les principes de la sociocratie. En cas de conflit, on provoque une plénière extraordinaire dans un cadre plaisant, histoire d’adoucir les angles. Et là, chacun est invité à se mettre en état de bienveillance pour adopter une solution commune. « Un moment pour tout mettre à plat, explique Thomas, le problème à résoudre est exposé, avec les enjeux et les éléments éthiques mis en cause. C’est le moment pour chacun de s’exprimer ou de se faire expliquer ce qu’il ne comprend pas ». Les leaders d’opinion sont priés de ne pas abuser de leur aptitude à convaincre, et de laisser aux autres le droit de s’exprimer. Au besoin, on organise des ateliers créatifs pour inventer de nouvelles solutions jusqu’à trouver la bonne.

Par pragmatisme

Une chose est sûre, au sein d’Abricoop, le temps est au slow. Pour construire l’histoire collective, chacun est régulièrement invité à revisiter sa propre météo intérieure et ses croyances. De quoi générer des peurs et des frustrations. Si la très attendue pose de la première pierre par le Groupe des Chalets devrait intervenir au printemps, la remise des clefs n’est pas prévue avant fin 2017. Sur le papier, le projet architectural est sur les rails mais quid de la météo intérieure des troupes ? Confiant, Ludovic perçoit néanmoins un écueil à la méthode du consensus « dans les non-dits qui ont pu s’installer dans les relations, par exemple sur la grille des loyers ». Selon lui, les deux années de réunions à venir ne seront pas de trop pour les lever et préparer les règles du vivre ensemble. Exemple ? Le sujet des enfants qui pourrait, selon lui, être source de tensions car les cinq retraités semblent très sensibles au bruit. L’isolation phonique prévue sera-t-elle suffisante ?

Si chacun entrevoit le sommet, il s’agit encore de vaincre ses angoisses. « J’ai rêvé que nous avions emménagé dans notre coopérative. La salle commune était immense et vide. Le sol était recouvert d’un linoléum en PVC, à la texture plastique reluisante. Les murs étaient peints avec une peinture chimique qui dégageait l’odeur caractéristique de la peinture chimique »raconte Rachel. Les craintes ne sont pas toutes de même nature : pour certains, elles concernent la malfaçon sur le bâtiment ; pour d’autres, elles relèvent de l’empiétement sur la vie privée. Françoise s’inquiète, par exemple, que les parties communes ne servent à rien et que dans le vivre ensemble certains se réveillent en voisins râleurs sans apporter de solutions. Du coup, le groupe se demande s’il faut établir des règles très strictes pour les pièces communes ou au contraire « laisser faire ». Autre sujet sensible, le départ de coopérateurs du projet avant qu’il n’aboutisse. Une situation qui fragiliserait tout l’équilibre selon Jean, le grand argentier, qui angoisse à l’idée que la coopérative ne parvienne pas à financer son prêt. Mais après avoir surmonté tant de galères, il reste confiant. À condition de réussir à mettre ses états d’âme entre parenthèses : « Nous ne sommes pas là pour nous aimer. Nous sommes là pour concrétiser un projet immobilier et sociétal ambitieux », lit-on sur leur blog. Avec beaucoup de candeur, et un peu d’audace, Abricoop lance début février une campagne de crowdfunding pour financer l’aménagement des espaces communs. En contrepartie, les donateurs pourront passer un week-end entier sur place, dès 2018. De quoi se faire sa propre expérience.

Touléco Green : Abricoop, la première coopérative d’habitants, essaime son modèle

En lire plus sur Touléco Green 

Publié le jeudi 21 mai 2015 à 20h29min par Aurélie de Varax

Abricoop, la première coopérative d’habitants, essaime son modèle

>  Elles sont dix-sept familles à avoir renoncé au modèle de l’accession individuelle à la propriété pour celui de la propriété collective. La coopérative d’habitants Abricoop, première du genre en Midi-Pyrénées, devrait intégrer la Cartoucherie en 2017. Et fait des émules.

En février dernier, l’association la jeune pousse, crée en 2008 pour porter le projet d’une coopérative d’habitants sur Toulouse, déposait ses statuts de Scop et devenait Abricoop. Début 2017, les dix-sept foyers coopérateurs, soit vingt-sept futurs habitants âgés de 0 à 80 ans, seront collectivement propriétaires d’un immeuble de l’îlot réservé à l’habitat participatif sur l’écoquartier de la Cartoucherie. La semaine dernière, à l’occasion des Journées portes ouvertes de l’habitat participatif, organisées par l’association Alter-Habitat Midi-Pyrénées, Abricoop présentait son projet devant une cinquantaine de familles.

Comme les autres familles de la coopératives dont cinq sont retraités, Chloé et Ludovic Favre se reconnaissent dans les valeurs portées par la coopérative d’habitants. Au-delà de la performance environnementale – la construction de l’ilot est en cours de certification Habitat & Environnement et vise le label Très haute performance énergétique [1] -, c’est d’un nouveau modèle de logement dont il est question. « Avec l’agence toulousaine Seuil-architecture que nous avons sélectionnée, nous participons à la conception de nos appartements et des espaces partagés : une buanderie, une salle commune, trois chambres d’amis, un espaces de rangement et un toit-terrasse, » raconte Chloé Favre.

Mutualisation de l’apport initial

Sur un budget de 2,4 millions d’euros, la coopérative a prévu d’emprunter 1,7 millions avec la garantie de Toulouse Métropole et a reçu 200.000 euros de l’Ademe dans le cadre de l’appel à projets régional « Bâtiments économes de qualité environnementale en Midi-Pyrénées ». Dans le système choisi par les membres d’Abricoop, chacun est locataire de son logement avec un loyer indexé sur les revenus et chacun est sociétaire de la coopérative, le nombre de parts correspondant à la valeur de chaque bien.

« Nous ne voulions pas de la discrimination par l’apport initial. Nous avons mutualisé nos apports entre ceux qui avaient un apport conséquent et ceux, très faibles », raconte Chloé Favre. « Dans ce qu’on verse chaque mois, une partie équivaut à un loyer et le reste alimente le compte courant d’associés dont on récupère une part lorsque l’on sort du projet. C’est plus intéressant qu’un système locatif classique sachant que chacun dessine les plans de son logement et co-construit avec ses voisins le projet de vie de l’immeuble. » La preuve du concept, par l’exemple. Organisée en commissions, la coopérative mène son projet tambour battant. Et le modèle essaime déjà auprès d’une quinzaine de candidats sur le territoire.
Aurélie de Varax