Restez chez vous !, nous intimait le gouvernement le 16 mars dernier nous ramenant à l’importance de la qualité de notre logement pendant le confinement. Un luxe réservé aux plus riches ? Le mouvement coopératif défend une autre idée de l’habitat que la pandémie du Covid-19 pourrait enfin favoriser.
La coopérative d’habitants est un accélérateur et facilitateur de solidarité et de convivialité. « Cela va bien au-delà d’un petit mot dans sa cage d’escalier ou de son ascenseur« , assure Thomas Berthet d’Habicoop, la Fédération Française des coopératives d’habitants s’appuyant sur les témoignages réconfortants qu’il reçoit depuis le début du confinement. « Comme il est rassurant de se savoir entourée de voisins prêts à s’entraider, à veiller les uns sur les autres, à s’organiser collectivement pour les courses et le ménage ! » lui écrit Chantal de Chamarel, une coopérative d’habitants pour personnes retraitées de Vaulx-en-Velin. Parce qu’ils refusaient la solitude de leur logement et cherchaient une alternative à l’Ehpad, ils ont décidé il y 4 ans de se lancer dans l’aventure de l’habitat participatif. En auto-promotion, sans bailleur social pour garder la maîtrise d’ouvrage et construire un ensemble de 16 logements à leur goût, ils ont pu emménager en 2017 dans ce qu’ils appellent leur oasis, un nom qui prend aujourd’hui tout son sens au regard de l’actualité.
L’habitat participatif face au virus nous rend moins angoissés, moins vulnérables que dans un Ehpad,
confirme Françoise, dans le Var, qui se sent elle aussi plus protégée dans sa coopérative La maison de Lorgues : « Notre coopérative d’habitants s’est voulue une alternative à la maison de retraite : restant autonomes, non dépendants d’une assistance et des règles de vie d’un Ehpad, en restant proches malgré tout en habitat participatif, nous sommes naturellement incités à renforcer nos liens entre nous et avec nos réseaux extérieurs, et nous sommes naturellement portés à nous rendre solidaires les uns des autres, à nous soutenir contre la morosité ambiante et les peurs et à rester actifs pour garder une vie sociale« .
Les habitants associés aux projets d’habitat participatif contribuent en effet à apporter des réponses collaboratives à de nombreux enjeux de société : lien social, bien vieillir, pratiques écoresponsables et préservation de l’environnement ou encore logement abordable, explique sur son site le mouvement national Habitat Participatif France.
Une autre façon d’habiter qui facilite l’entraide
Vivre dans une coopérative permet de mettre en commun ses ressources pour construire un immeuble et définir ensemble des règles de vie. Des espaces collectifs sont prévus : terrasses, buanderie, salle commune, chambres d’amis, jardin. La mutualisation d’espaces et de moyens doit permettre de vivre mieux à moindre coût.
« Les coop-habitants sont habituées à s’auto-organiser en temps normal, alors les nouvelles règles de vie que nous impose l’épidémie comme la distanciation sociale s’est faite rapidement en toute intelligence, dans la confiance » remarque Thomas Berthet, qui a pu le constater lui-même dans sa coop à Abricoop à Toulouse. « Nous jardinons toujours ensemble mais à un mètre de distance », même chose à Mas coop de Beaumont-sur-Lèze, raconte Cécile.
Nous continuons à prendre l’apéro ensemble, à un mètre tous les uns des autres, heureusement que notre salle commune est grande et qu’on a de la place !
Au Groupe du 4 mars, à Lyon, Aurore remarque que s’ils se voient un peu moins, la communication marche à plein régime : « On se dit par Whatsapp quand on descend à la buanderie mais aussi quand quelqu’un va faire les courses et s’il peut ramener quelque chose« .
Les chambres d’amis étant des pièces mutualisées en dehors des foyers, elles ont servi à accueillir des personnes isolées ou sans domicile, quand elles ne se sont pas transformées en bureau pour que les parents en télétravail puissent être au calme. « Bien sûr, la vie quotidienne est perturbée dans les coopératives d’habitants comme partout ailleurs, mais dans ces nouveaux lieux de vie, tous les outils sont déjà là pour nous aider à traverser cette période difficile« , se réjouit Thomas Berthet « et en toute autonomie ! parce qu’il n’y a pas plus empêcheur de vivre qu’un syndic de co-propriété ou un bailleur social« .
Et à Paris ?
Si la coopérative apparaît comme une bonne alternative au logement dense, anonyme et sans autonomie, les Parisiens ne connaissent pas cette chance. Dans la capitale, aucune coopérative d’habitants n’a réussi à sortir de terre. Pourtant, la demande est criante : pas moins de 800 familles avaient répondu à l’appel à projet lancé par la Marie de Paris en 2014 pour trois petites parcelles, se rappelle-t-on amèrement à l’Ordre des architectes d’Ile-de-France qui avait travaillé gratuitement sur ces projets sans qu’aucun aujourd’hui n’ait vraiment abouti. L’initiative n’aura malgré tout pas débouché sur rien puisqu’après beaucoup d’attente et d’incertitude le projet de coopérative HLM, UTOP a finalement signé son contrat de promotion immobilière en décembre dernier dans le XXe arrondissement.
Mais les avancées sont bien minces et nombreux sont les Parisiens à regarder avec envie les coopératives fleurir partout ailleurs en France quand eux se retrouvent confinés, coincés dans leurs appartements exigus. Bien sûr, la pression foncière en est le premier obstacle : à Paris, les prix d’un terrain à bâtir ou d’un immeuble à rénover sont exorbitants, surenchéris par les grands groupes, géants du BTP. Cette concurrence sans limite transforme la capitale en véritable jeu de Monopoly, auquel les coopératives d’habitants ne peuvent pas participer. Pourtant, le modèle coopératif permettrait à la classe moyenne parisienne de ne pas rester coincée entre le logement social, auquel elle ne peut bien souvent pas accéder, et le parc privé hors de prix. A ce titre, les coopératives d’habitants répondent en effet à une demande d’innovation tant économique que sociale, assure Thomas Berthet expert juridique et financier pour Habicoop.
Le modèle coopératif vise à faire sortir le logement du marché spéculatif de l’immobilier et du dilemme locataire propriétaire.
Dans une coop d’habitat, vous devenez propriétaire d’une part d’une société dans laquelle vous êtes locataire. Si vous quittez votre logement, vous vendez non pas un appartement mais les parts de la société que vous avez acquises au prix auquel vous les avez acquises. Conscient que ce modèle vertueux ne peut s’installer sans volonté des élus politiques, le mouvement pour l’Habitat Participatif lors de la dernière campagne des élections municipales avait tourné une petite vidéo à l’adresse des candidats afin qu’ils soutiennent les porteurs de projets.
Les coopératives d’habitants dans le monde « d’après »
Il faut faire évoluer la loi pour permettre aux coopératives d’habitants d’accéder au foncier plus facilement surtout dans les zones tendues, revendique Habicoop. Une première étape a été franchie avec la loi Alur de 2014, renforcée par la loi Elan de 2018 en créant le bail Réel Solidaire. Le BRS ouvre la possibilité de dissocier le bâti du foncier. En faisant l’économie du prix du terrain, les constructeurs ont ainsi la possibilité de proposer des logements beaucoup moins chers à la vente. En contrepartie, les acheteurs n’ont qu’à reverser un loyer minime aux organismes, mettant le foncier à disposition pour en obtenir la jouissance. Ce montage passe par la création d’Organismes Fonciers Solidaires, dont la ville de Paris s’est dotée en tout début d’année 2020. Une brèche dans laquelle tente de se glisser les coopératives d’habitants.
Notre objectif est de pouvoir avoir également accès aux Organismes Fonciers Solidaires en les élargissant à tous les types de logements,
annonce la Fédération Française des coopératives d’habitants. Sensible au sujet, le député Modem Jean-Luc Lagleize, missionné par le ministre du Logement Julien Denormandie, a inclus cette possibilité avec la création d’Organisme Foncier Libre dans sa proposition de loi. Votée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale le 28 novembre dernier, ce texte était attendu devant le Sénat le 1er avril, avant d’être reporté en raison du confinement. Si la pandémie a perturbé le processus législatif, elle n’a pas douché pour autant les espoirs du monde de l’habitat participatif. Bien au contraire, veut-on croire à Habicoop : « Le Covid-19 ne fait qu’accentuer l’urgence de faire apparaître d’autres formes d’habitat. Un habitat plus résilient, plus inclusif et plus écologique. »